Histoire Littéraire #2 – L’amour courtois

Bonjour ami(e)s littéraires,
Je reviens aujourd’hui avec un deuxième article d’histoire littéraire, le premier ayant reçu un très bon accueil et une demande de poursuite ! Je me plie donc à votre gentillesse pour ma plus grande joie ! Je rappelle, néanmoins, que ces dires n’ont pas vocation d’être clôturé sur eux-mêmes, ils aspirent à l’échange, au débat et à l’enrichissement. Alors, n’hésitez pas si je me trompe, si vous avez des questions, si le sujet abordé implique des frontières mobiles – comme c’est souvent le cas en littérature – et que vous souhaitez en débattre, je suis toute ouïe !

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Pour continuer dans la littérature médiévale, si on parlait d’amour courtois ? Mais qu’est-ce donc que cela ?
Avant toute chose mettons au clair le mot « courtois » car je pense qu’il n’est pas nécessaire d’éclaircir le mot amour ! Ce mot vient de l’ancien français « cort » signifiant « cour ». Ainsi, il fait une référence directe à ce qui vient de la Cour et représente un idéal de comportement et un art de vivre en société propres aux nobles. Cet idéal se verra diffuser dans toute la littérature médiévale du XIIe et XIIIe. Matérialisé mais aussi controversé, on peut dire qu’à l’époque on ne badine pas avec l’amour courtois !
Dans la suite de cette moralité courtoise, l’amour courtois se voit qualifié d’amour raffiné, noble et subtil ; proposant une inversion des rôles entre homme et femme, où la femme devient supérieure à l’homme moralement mais aussi socialement – pour la plus grande joie des féministes, GIRL POWER haha – et où l’amant doit atteindre la perfection de la dame pour obtenir la récompense charnelle… ou pas ! Si je dis « ou pas », il y a une bonne raison… 
Eh bien, oui ! Avec la fin’amor, autrement dit amour parfait, déclamé par nos chers troubadours ; il convient de proclamer ce fameux « OU PAS » ! En effet, la fin’amor associe l’amour au désir, et donc vous l’aurez compris  : pas de désir assouvi sans extinction dudit désir. Ainsi nos tendres amants sont condamnés à la souffrance de leur amour. La fin’amor se dépeint donc comme un amour contrarié car non partagé, secret et devant affronter de nombreux obstacles pour obtenir l’ultime récompense, sans aucune certitude de l’obtenir. Le cadre de cet amour est un triangle amoureux (adultérin) rendant les choses encore plus compliquées, une exposition constante au danger d’être dévoilé et la souffrance amoureuse comme thème central. On retrouve dans cette littérature des topoï – thèmes – propres au lyrisme appelés des motifs :
  • Motif de la reverdie ou du renouveau printanier : mise en avant d’un élément renvoyant au printemps et assumant un double rôle, celui d’un dynamisme que le printemps insuffle, et celui du lieu où le poète chante.
  • Motif de la maladie amoureuse : ensemble de symptômes psychosomatiques visibles et reconnaissables renvoyant à l’amour et pouvant aller jusqu’à l’aliénation – du genre le héros va presque perdre le combat parce que la dame lui ôte son souffle et lui déclenche une tachycardie incontrôlable, vous voyez le topo ?
  • Motif de la blessure d’amour : comme un coup de foudre, les yeux de la dame envoie une flèche dans le coeur de l’amant et le blesse d’amour. 
Bien sûr, je ne vous ai donné que les principaux – histoire que vous ne vous endormiez pas en cours de route – mais d’autres existent ! La fin’amor évoquée ici est surtout utilisée dans les chansons courtoises, mais, mais, mais ! Le roman s’y met aussi et celui que l’on peut désigner comme le roman courtois par excellence est le Roman d’Énéas. C’est une adaptation de l’Énéide qui se lie à une volonté de représenter l’amour courtois. Néanmoins, c’est avec le roman que les choses se corsent et que la controverse de l’amour courtois pointe le bout de son museau transformant le « ou pas » en « peut-être bien », voire même en « bien sûr » !

Controverse ? Qu’ouïe-je ? Se serait-on permis de critiquer la courtoisie ?
Tout commence avec Tristan et Iseut, célèbre couple formant le mythe d’une passion destructrice ! Tristan est un bien un héros courtois ; Iseut, une princesse, donc plus élevée que son futur amant et un triangle amoureux est bien présent – il sera même quadrangulaire avec Iseut, son mari, Tristan et sa femme. Mais alors qu’est-ce qui coince me direz-vous ? Eh bien, de nombreuses choses à vrai dire : déjà l’amour va naître entre les deux amants sous l’effet d’un philtre d’amour, une influence extérieure donc et non pas le fruit d’un regard et d’un choix amoureux ; de plus, j’ai bien dit l’amour va naître entre les deux… Alors que l’amour courtois n’est censé être qu’unilatéral, il est ici réciproque, et consumé de surcroît dès le début ! Il y a donc souffrance partagée et consommation charnelle d’emblée !! Mais où est la courtoisie ici ?! Ajoutez à cela des amants utilisant la ruse et la tromperie (valeurs profondément anti-courtoises), une remise en cause de l’institution du mariage avec une princesse dépucelée avant son mariage, un discours frauduleux et mensonger dit la main sur les reliques… Et vous obtenez un couple fort discourtois ! 
Ensuite, c’est Chrétien de Troyes qui explore le concept de la fin’amor dans ses romans en voulant dépasser le principe de l’adultère. Ainsi, l’auteur va explorer la possibilité de lier la courtoisie (prouesse chevaleresque et amour raffiné) à l’union légitime du mariage. Pour cela, il va nous présenter des personnages se mariant rapidement et tentant de trouver un juste équilibre entre vie privée et vie public. Chrétien de Troyes va donc redéfinir un amour courtois réconcilier avec le mariage. 
On approche maintenant du croustillant – haha – avec le Roman de la Rose. Ce roman allégorique est bicéphale car écrit par deux auteurs aux pensées diamétralement opposées. On considère la première partie écrite par Guillaume de Lorris comme une apologie de l’art d’aimer de manière courtoise ; et la seconde partie écrite par Jean de Meung comme une valorisation de la procréation. Je m’explique ! Dans le roman, le narrateur raconte un songe dans lequel il veut conquérir un bouton de rose, une magnifique allégorique de l’amant voulant séduire la dame donc. Mais lorsque le second auteur s’y met, on perçoit un tout autre discours. Jean de Meung nous explique que l’amour courtois est un amour stérile et une perversion sexuelle car le propre de l’humain est de perpétuer l’espèce alors comment faire sans acte sexuel ? Il oppose donc à cet amour stérile, la revalorisation des instants corporels et de la sexualité féconde à travers une scène moqueuse où le narrateur arrive à attraper la rose en des termes grivois laissant pleinement voir l’image de la défloration d’une jeune femme. Voici donc un discours aux contours satiriques, mais il reste une dernière oeuvre à explorer…
Le Roman de Renart ! On est là en pleine satire ! Vous pensez le Moyen-âge chaste ? Alors, que diriez-vous de ce monsieur Renart qui durant ses aventures se retrouve coincé avec sa belle et ne trouve rien de mieux à faire que de la prendre par derrière ?! Ce roman est un ensemble de récits différents appelés des « branches » – qui fonctionne en gros comme Bip Bip et Coyote ou Titi et Grosminet – dont le héros est un goupille (devenu aujourd’hui le mot renard grâce à Renart). Toutes les histoires vont tourner autour du personnage, de sa faim, de sa méchanceté, de sa ruse etc. Mais les auteurs en profitent pour parodier l’amour courtois et la chevalerie. On voit donc des scènes telles que celle décrite plus haut qui s’inscrit dans une relation réellement courtoise initialement ou encore un siège parodié dans la célèbre scène du siège de Mauperthuis. En bref, pour ce qui concerne notre sujet, dans ce roman, le curseur est mis sur la bestialité de l’amour courtois car non seulement il est représenté ici par des animaux mais en plus les accouplements se font de manière crue et directe. 

Petits récap’ des oeuvres si l’envie est de la partie !
  • Roman d’Énéas – 1160 – Matière de Rome – Anonyme
  • Tristan et Iseut – 1170/1190 – Matière de Bretagne – Béroul et Thomas d’Angleterre
  • Érec et Énide – 1170/1183 – Matière de Bretagne – Chrétien de Troyes
  • Cligès ou la fausse morte – 1176/1187 – Matière de Bretagne – Chrétien de Troyes
  • Lancelot ou le Chevalier de la charrette – 1177/1189 – Matière de Bretagne – Chrétien de Troyes
  • Yvain ou le Chevalier au lion – 1181 – Matière de Bretagne  – Chrétien de Troyes
  • Roman de la Rose – 1230 pour Guillaume de Lorris et 1275 pour Jean de Meung
  • Roman de Renart – 1170/1250 – plusieurs auteurs

Et vous, que pensez-vous de l’amours courtois ? Dites-moi tout, même si je vous ai endormi dites-le 😀

Histoire littéraire #1 – Naissance de la littérature

Salutations ami(e)s littéraires,
Je vous propose aujourd’hui et certainement une fois par mois de nous retrouver pour parler histoire littéraire. Parce que j’aime ce que je fais en cours, mais aussi parce que j’ai envie de le partager avec vous ! Néanmoins, il convient de vous le dire : ces dires n’ont pas vocation d’être clôturé sur eux-mêmes, ils aspirent à l’échange, au débat et à l’enrichissement. Alors, n’hésitez pas si je me trompe, si vous avez des questions, si le sujet abordé implique des frontières mobiles – comme c’est souvent le cas en littérature – et que vous souhaitez en débattre, je suis toute ouïe !

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Pour commencer par le commencement, comment la littérature est-elle devenue littérature ?
Afin de répondre au mieux à ce questionnement – qui traite bien sûr exclusivement de la littérature française – nous allons remonter au Moyen-Âge central ! Alors bienvenue gentes damoiseaux et damoiselles aux XIe et XIIe siècles.
Pour faire naître une littérature en langue romane – notre ancêtre du français – deux conditions ont dû être réunies :
  • la première – et non des moindres – est le passage de la langue romane comme langue officielle au XIe siècle. En effet, avant cela, une dichotomie nette séparait la langue du peuple de celle de l’Église, le latin. Ainsi, le latin avait le monopole du savoir et les écrits n’étaient transcrits que dans cette langue puisque le peuple n’avait aucun accès aux livres – saints pour la plupart. Ce passage à donc une valeur importante pour l’émergence de la littérature, le langage étant bien sûr son outil principal !
  • la seconde est un désir. Au début du XIIe siècle, une période de paix s’installe dans le royaume avec la fin des guerres de conquête. C’est ainsi que les nobles ont pu diriger leur curiosité vers les arts et les lettres ! Afin de combler cette curiosité, mais aussi dans une démarche de volonté d’inscription de leur mode de vie et de leurs valeurs profanes dans la société, ils ont réclamé aux clercs des textes compréhensibles pour eux. Les premiers écrits profanes en langue vernaculaire – romane donc – se développent par ce biais. 
NB : il faut tout de même préciser que l’oral reste dominant jusqu’au XIIe siècle pour narrer les histoires, c’est au XIIIe siècle que l’alphabétisation augmente et que la transmission orale laisse sa place à une prédominance écrite. 

Mais alors, quels sont les premiers genres littéraires ?
Bien que l’on pourrait débattre des heures sur cette frontière mobile des genres, je reste néanmoins sur cette notion telle qu’elle nous a été apprise dès le secondaire ! Trois genres principaux gouvernent notre mystérieux Moyen-Âge :
  • Le plus ancien est la chanson de geste : ces poèmes épiques célèbrent des exploits guerriers de héros légendaires. Le mot « chanson » renvoie à l’oralité primitive du genre, mais aussi à son accompagnement musical car, à cette époque, la poésie se chantait ! Tandis que le mot « geste » renvoie lui au latin gerere qui signifie agir donc l’action militaire ici. Les chansons de geste remplissaient une fonction sociale et idéologique car, non seulement, elles rappelaient de hauts faits militaires et les commémoraient, mais aussi elles rassemblaient la communauté autour de valeurs communes possédées par le héros.
  • Ensuite vient, la poésie lyrique renvoyant encore une fois au chant. Celle-ci s’est développée dans les milieux aristocratiques, elle se veut raffinée et a pour thématique centrale, l’amour. Ce sont les fameux troubadours qui la distillent dans le Sud en langue d’Oc ; puis dans le Nord, ce sont les trouvères qui prennent le relais, cette fois en langue d’Oïl. Ces derniers diffuseront largement la courtoisie et, de là, naîtra le grand thème de l’amour courtois ou fin’amor – sur lequel je reviendrais surement dans le cadre d’un autre article. 
  • Enfin, au XIIe siècle, le roman ! On note que le roman s’appelle roman pour la langue romane et découle d’une influence des deux premiers genres évoqués. Les premiers romans sont versifiés et dressent les valeurs de la noblesse et de la courtoisie. Il existe deux matières différentes pour ces romans : soit ils sont de « matière de Rome – ou roman d’Antiquité »  et sont traduits du latin ou du grec pour transmettre les mythes et légendes antiques – ils ont donc une fonction didactique ; soit il sont de « matière de Bretagne – ou roman arthurien » et prennent appui sur les fonds légendaires bretons – ils sont plus libres car sans modèle de référence ainsi ils ne visent que la distraction du public. 

Quelques références si l’envie est de la partie !
  • La chanson de Roland, chanson de geste, XIe siècle, Turold – mais rien n’est sûr 
  • La douce voix du rossignol sauvage, chanson courtoise, XIIe siècle, auteur inconnu
  • De fine amor vient séance et bonté, chanson courtoise, XIIIe siècle, Thibaut de Champagne
  • Roman d’Énéas, Matière de Rome – Référence l’Énéide de Virgile, 1160, auteur inconnu

Et vous, que pensez-vous de la période ? De l’émergence de la littérature française ? Dites-moi tout, même si je vous ai endormi n’hésitez pas !