« Réparer les vivants » de Maylis de Kerangal

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Résumé :

« Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d’autres provinces, ils filaient vers d’autres corps ». Réparer les vivants est le roman d’une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d’accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l’amour.

Extrait :

Marianne intervient : oui, mais on se réveille du coma, il arrive que l’on se réveille, même des années plus tard, il y a plein de cas comme ça, n’est-ce pas ? Son visage est transfiguré à cette idée, un éclat de lumière, et ses yeux s’agrandissent, oui, avec le coma, rien n’est jamais joué, elle le sait, les histoires de ceux qui se réveillent après des années abondent, elles courent sur les blogs, les forums, elles sont miraculeuses. Révol arrête son regard sur le sien, et, ferme, réplique : non – la syllabe qui tue. Il recommence : les fonctions de la vie de relation, autrement dit la conscience, la sensibilité, la mobilité de votre fils sont abolies, et de même, ses fonctions végétatives, sa respiration et la circulation de son sang ne sont plus assurées que par des machines – Révol déroule, déroule, comme s’il procédait par accumulation de preuves, sa parole énumère, marque un temps après chaque information, quand l’intonation, elle, se révèle, manière de dire que les mauvaises nouvelles s’amoncellent, qu’elles s’empilent dans le corps de Simon, jusqu’à ce que la phrase s’épuise, finalement s’arrête, désignant soudain le vide étendu au-devant d’elle, comme une dissolution de l’espace.
– Simon est en état de mort cérébrale. Il est décédé. Il est mort.

Mon avis : ♥♥♥♥♥

Une lecture intense ! Le roman débute par une session de surf, Simon Limbres et ses deux amis chevauchent les vagues, puis l’heure de rentrer sonne. Ils embarquent, épuisés dans le van, et remontent tranquillement jusqu’à chez eux. C’est sur ce trajet que l’accident a lieu. Simon est emmené d’urgence, une urgence qui ne suffira pas. La mort cérébrale est annoncée… J’ai rarement autant pleuré lors d’une de mes lectures. Cette première partie est vraiment insoutenable, on subit la pression et le néant qui envahit les parents.
Notamment grâce  à l’écriture particulière de Maylis de Kerangal, incisive, nette et rythmée. Je n’ai jamais rencontré un style comme le sien, je me suis d’ailleurs demandé si j’arriverais à la suivre et à me plonger dedans. Puis, au fur et à mesure, c’est devenu hypnotique. Ses métaphores jamais vu et très artistique, les actions qui s’enchainent très rapidement comme l’aiguille d’une machine à coudre (c’est exactement ça, comme la cadence d’une machine à coudre) et tout cela sur une histoire qui nous donne l’impression de passer sous un rouleau compresseur. Mais malgré cette rapidité ressenti dans le rythme, on avance pourtant que de quelques minutes dans le temps, le roman de 299 pages ne relatant les faits que de 24 heures. Toute les actions sont minutieusement scrutées, ainsi que les sentiments et sensations qui en découlent de chacun des personnages, les émotions ont le temps d’être vécues et on est submergés par le désarroi, la colère, la tristesse, le déni… Non pas à la manière sentimentale, mais bien de manière dur, tranchante et aigre comme si l’on vivait cette perte à l’intérieur d’eux. Une objectivité brutale qui finalement, rend le roman encore plus puissant et subjectif.
La deuxième partie se concentre sur la receveuse qui attend le cœur et la transplantation cardiaque. Une partie du coup, en totale opposition émotionnelle de la première. Bien que toujours aussi émouvante, elle laisse la place à l’espoir mais aussi à l’interrogation de cette mort inévitable pour avoir la chance de vivre. La souffrance des uns se plaçant en miroir face à l’espoir des autres… Triste réalité et passage qui coupe le souffle aussi. Durant l’opération, elle-même, je n’ai aucun souvenir d’avoir pu reprendre ma respiration, vivant la pression du bloc, ainsi que l’attente de ce cœur qui doit se remettre en mouvements.
Je me suis sur certains passages perdue dans le dédale des mots mais je ne tiens pas rigueur à ces infimes parties car cette lecture peu commune fût saisissante et m’a permit de découvrir cette auteure que je pense relire rapidement. J’ai fini ma lecture à bout de souffle revivant les évènements, imprégnée de la gravité de cette histoire et de son intensité. Entre tristesse pour l’un et réjouissance pour l’autre, mais aussi frappée par l’antithèse de la mort et de la vie. En bref, j’ai pris une vrai claque avec cette lecture et je comprend amplement tous les prix qu’il a reçus.
Les + : style unique et poignant, une histoire rarement relatée bien que réelle et un coup de cœur pour moi.
Les – : ce style singulier peut faire peur ou rebuté, il faut persévérer lorsqu’on ne le connait pas pour l’apprécier (ou pas, c’est selon…).

coup de coeur

« La ballade de Lila K » de Blandine Le Callet

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Résumé :

Une jeune femme, Lila K, fragile et volontaire, raconte son histoire. Un jour, des hommes en noir l’ont brutalement arrachée à sa mère, et conduite dans un Centre, mi-pensionnat mi-prison, où on l’a prise en charge. Surdouée, asociale, Lila a tout oublié de sa vie antérieure. Son obsession : retrouver sa mère, recouvrer sa mémoire perdue. Commence alors pour elle un chaotique apprentissage, au sein d’un univers étrange dans lequel les livres n’ont plus droit de cité…

Extrait :

Ils n’ont pas mis longtemps avant de s’apercevoir que j’étais exceptionnelle. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est écrit dans le compte rendu qu’ils ont adressé début mars aux membres de la Commission : A appris à lire en un mois. Une mémoire stupéfiante, et des performances étonnantes en calcul mental. Encore des problèmes de maîtrise du graphisme, mais améliorations constantes.
Ils m’ont fait passer tout un tas d’examens et d’évaluations. J’ai trouvé ça facile. Les résultats ont dit que j’étais surdouée. Ils ne voulaient pas le croire. Ils ont refait les tests, plusieurs fois, afin de s’assurer qu’il n’y avait pas d’erreur. Mais non, c’était bien ça. Aucun doute possible: j’étais ce qu’on appelle un cas, d’autant plus extraordinaire que mon passé aurait dû faire de moi une arriérée mentale.
Les membres de la Commission étaient très ennuyés : ils avaient sur les bras une vraie bête curieuse. Surdouée, asociale, polytraumatisée. Personne ne savait ce qu’il fallait faire de moi. C’est là que M. Kauffmann est entré en scène. Il a changé ma vie.

Mon avis : ♥♥♥♥♥

Une merveille, une pépite !! Je l’ai dévoré tout cru. Lila, que la vie n’a vraiment pas épargné nous livre toutes ces pensées et son être à travers ses lignes. Enlevée à sa maman très jeune, on apprend en même temps qu’elle son parcours et les réponses aux questions qu’elle se posent. On suit sa réhabilitation physique, mentale et humaine mais aussi son attachement pour les différents personnages, ainsi que ses angoisses quotidiennes. Le texte écrit à la première personne nous implique directement en elle, et c’est avec ravissement (malgré l’horreur) que l’on découvre toute la poésie qu’elle possède ainsi que l’amour profond qu’elle a pour sa mère. Puis arrivé à la moitié du roman, elle s’adresse directement à nous avec un « vous » destiné à la personne pour qui elle écrit toute son histoire depuis le début, ça donne encore plus de dimension à notre implication. Je me suis sentie comme une amie qui écouterait les déboires et l’histoire de vie d’un proche. Du coup, je sors de cette lecture avec un attachement particulier à Lila. Non pas en tant qu’héroïne mais en tant que Lila. Lila K. Aussi franche du collier, torturée, angoissée et malmenée par la vie que douée d’un amour littéral pour sa mère, d’une capacité humainement somptueuse de pardon et de poésie.
Les personnages, quant à eux, sont tout aussi attachants. M. Kauffmann, thérapeute, qui sera le premier à apprivoiser Lila. Drôle, touchant et libre, dévoile la personnalité de Lila et lui apprend à se connaître. Fernand qui épaule M. Kauffmann dans sa thérapie, la suivra coûte que coûte. Lucienne, la femme de Fernand, qui aura de grandes conversations avec Lila, ou encore Pacha, le chat multicolore qui sera son protégé. D’autres personnages arrivent dans l’histoire et seront tout aussi déterminants, mais je vous laisse le plaisir de les découvrir… Les chapitres sont assez longs car ils se présentent sous le nom de chaque personnages ou institutions, mais je vous rassure on a pas envie de lâcher le livre pour autant, bien au contraire.
A travers toute cette histoire, il y a aussi une présentation d’une société future complétement déviante qui nous envoie dans les années 2100 et est très intéressante.  Dans cet univers, tout est contrôlé, les moindres faits et gestes de la population mais aussi l’hygiène, la sexualité, la littérature… Une possibilité terrifiante !
En enlevant la société dans laquelle évolue Lila, le style et la présentation du texte à la première personne m’ont fait pensé au livre « Le bizarre incident du chien pendant la nuit » de Mark Haddon que j’avais adoré également. J’ai retrouvé l’humour, la sensibilité ainsi que le traumatisme imposé par les évènements aux personnages dit « atypiques » (pour l’un asociale maladif et pour l’autre, atteint du syndrome Asperger). En bref, un trésor et un nouveau coup de cœur =)
Je ne ferais pas de + et – pour ce roman car réellement, je n’ai rien à lui reprocher, il est juste divin.

coup de coeur

« Le portrait de Dorian Gray » d’Oscar Wilde

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Résumé :

« Le héros de l’unique roman d’Oscar Wilde doit rester éternellement jeune : son portrait seul sera marqué progressivement par le temps, les vices, les crimes, jusqu’au drame final. Dans ce chef-d’œuvre de l’art fin de siècle (1890), l’auteur a enfermé une parabole des relations entre l’art et la vie, entre l’art et la morale, entre le Bien et le Mal. »

Extrait :

Hallward blêmit, et lui saisit la main. « Dorian, Dorian ! s’écria-t-il, ne parle pas ainsi. Je n’ai jamais eu d’ami tel que toi, et je n’en aurai jamais. Tu n’es quand même pas jaloux de simples objets, toi qui es plus beau que n’importe lequel d’entre eux?
– Je suis jaloux de tout ce dont la beauté ne périt pas. Je suis jaloux de ce portrait de moi que tu as peint. De quel droit garderait-il ce que je dois perdre? Chaque minute qui passe m’enlève quelque chose pour le lui donner. Ah ! si ce pouvait être l’inverse ! Si le portrait pouvait changer, et moi rester éternellement tel que je suis à présent ! Pourquoi l’as-tu peint? Un jour viendra où il fera rire de moi, rire de façon effroyable ». Des larmes brûlantes se pressaient sous ses paupières; il libéra brutalement sa main et, s’affaissant sur le divan, il plongea son visage dans les coussins, comme pour prier.
« Voilà le résultat de votre travail, Harry », dit le peintre d’une voix amère.
Lord Henry haussa les épaules. « C’est là le véritable Dorian Gray, voilà tout.

Mon avis :  ♥ ♥ ♥ ♥ ♥

Oscar Wilde, dandy par excellence, signe cet unique roman de l’esthétisme dont il a le secret et qu’il affectionne tant. Il nous livre aussi par son personnage la bataille à laquelle se livre son esprit face à ce narcissisme naissant à l’époque ainsi que ce courant de dandysme dont il fait parti.
Dans ce livre, le candide Dorian Gray jeune et beau comme un Dieu va faire la connaissance de deux personnages qui vont être déterminant dans son existence. L’un, Basil Hallward, peintre et ami de Dorian, décide de faire le portrait du jeune homme avec un attachement et une admiration indescriptible. L’autre, Lord Henry Wotton, dandy et manipulateur, va l’encourager, sous prétexte que la beauté soit éphémère, à s’éloigner de son innocence et à se plonger dans la perversité. Suite à une remarque ironique de Lord Henry, Dorian prend donc conscience qu’il vieillira et que sa beauté s’effacera. Son orgueil touché il  émet le souhait que le tableau vieillisse à sa place. C’est alors que Dorian revoyant son portrait se rend compte que sa demande à été exaucé et que celui-ci vieilli et devient laid à sa place. C’est la l’intrigue du roman, plus Dorian Gray s’éloigne de son innocence plus le tableau devient laid, une dissociation s’installe donc peu à peu entre l’image de beauté renvoyé par le personnage et l’image immonde de son âme représenté par le tableau.
Par ce roman psychologique et dénonciateur de son temps, Oscar Wilde signe un chef-œuvre qui lui vaudra, malheureusement, beaucoup de déboires et une censure encore d’actualité.
Les + : Une histoire entraînante et des descriptions magnifiques de beauté et de finesse
Les – : Les descriptions pour les non-amateurs peuvent s’avérer longues

coup de coeur


Article écrit dans le cadre du challenge XIXeme siècle organisé par « Dans le manoir au livre »

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Film « Dorian Gray » de Olivier Parker

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Tellement déçu par ce film, le réalisateur à selon moi aucune compréhension de l’œuvre. Histoire américanisé allant dans le fantastique à outrance et oubliant la finesse qui se dégage du livre. Malgré de bons acteurs, le film reste bateau. Il aurait pu être pas mal s’il ne se voulait pas l’adaptation du chef œuvre d’Oscar Wilde.

« La Part de l’Autre » de Eric-Emmanuel Schmitt

la part de l'autre


Résumé :

« 8 octobre 1908 : Adolf Hitler est recalé. Que se serait-il passé si l’École des beaux-arts de Vienne en avait décidé autrement ? Que serait-il arrivé si, cette minute là, le jury avait accepté et non refusé Adolf Hitler, flatté puis épanoui ses ambitions d’artiste ? Cette minute-là aurait changé le cours d’une vie, celle du jeune, timide et passionné Adolf Hitler, mais elle aurait aussi changé le cours du monde… »

Extrait :

Qu’est-ce qu’un monstre? Un homme qui fait le mal à répétition.
A-t-il conscience de faire le mal ? Non la plupart du temps. Parfois oui mais cette conscience ne le change pas. Car le monstre se justifie à ses yeux en se disant qu’il n’a jamais souhaité le mal. C’est juste un accident de parcours.
Alors que tant de mal se fait sur cette planète, personne n’aspire au mal. Nul n’est méchant volontairement, même le plus grand rompeur de promesses, le pire des assassins ou le dictateur le plus sanguinaire. Chacun croit agir bien, en tout cas en fonction de ce qu’il appelle le bien, et si ce bien s’avère ne pas être le bien des autres, s’il provoque douleur, chagrin et ruine, c’est par voie de conséquence, cela n’a pas été voulu. Tous les salauds ont les mains propres. (…) Le salaud se regarde tranquillement dans la glace, il s’aime, il s’admire, il se justifie, il a l’impression – tant qu’il n’est pas mis en échec – de triompher des difficultés qui arrêtent les autres ; il n’est pas loin de se pendre pour un héros.

Mon avis : ♥♥♥♥♥

1er livre que je lis de cet auteur et je peux affirmer que cette lecture débouchera sur beaucoup d’autres !!
Au premier abord, je me disais : « Ne va-t-il pas trop se diriger vers un  récit de guerre ? » ou encore « Ne va-t-il pas trop romancer ce personnage qui réussit sa vie ? » Mettant alors en place un héros face à un monstre, le tout devenant décevant de banalité et de romantisme.
J’ai pu vite constater que mes a priori étaient à mettre à la poubelle. Eric-Emmanuel Schmitt nous présente les personnages tels qui sont. Un Adolf reçu qui vit sa vie de jeune homme et son apprentissage de sa propre humanité face à un Hitler qui n’est pas devenu Hitler en un jour. Les deux personnages sont criant de réalisme et la plume de l’auteur révèle une merveilleuse compréhension de l’Homme et de ses actions. Je parle évidemment de psychologie humaine et non de compréhension de l’action à proprement parlé.
En effet, le défi est de taille : comment parler de Hitler à une époque où la simple énonciation de ce nom apporte tout de suite un devoir de faire attention à ses paroles au vue de l’horreur qu’il a accompli… Et bien le défi est relevé !
L’auteur nous fait avancer dans son récit passant d’un personnage à un autre sans transition, ce qui apporte un dynamisme considérable à l’ensemble et permet de voir l’avancée psychologique des deux hommes face à leurs vies et aux évènements qu’ils traversent. Tout ceci nous renvoient, nous lecteurs, à un certain malaise au fur et à mesure que le livre avance car, incroyable mais vrai, nous arrivons à nous identifier ainsi qu’à « comprendre » par où passent ces deux hommes. L’auteur met en avant le fait que chaque homme peut devenir mauvais (et même un monstre) selon les choix qu’il prend et donc que tout un chacun décide de sa vie et de la direction qu’il veut suivre.
Les + : Ce roman se lit très facilement et entraîne une profonde réflexion sur l’Homme et sur soi-même ! La finesse et la poésie d’écriture d’Eric-Emmanuel Schmitt est délectable. A lire absolument !!
Les – : Peut être quelques longueurs mais c’est vraiment infime

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